L'inutile controverse: Les
détracteurs de l'artillerie lourde en France étaient
nombreux. Leurs objections étaient les suivantes: si un gros
projectile a effectivement beaucoup
d'efficacité, il faut admettre que pour
mettre hors d'état de nuire un poste ennemi, une tranchée
abri par exemple, un petit projectile suffit. En revanche, il faudra
tirer plusieurs projectiles, à cause de la dispersion. Ainsi 5
projectiles de 10kg peuvent être bien plus efficace qu'un seul
projectile de 50kg. le nombre de coups tirés avaient donc bien
plus d'importance que leur taille. De plus dans la guerre de
mouvement telle que la concevaient alors les officiers français,
la mobilité était primordiale. Cependant, l'état-major, informé par
les rapports du 2ème bureau, avait poussé un cri
d'alarme: face aux canons lourds allemands de portée plus longue
et échappant par leur défilement ou leur distance
à nos tirs, les 75 ne pourraient lutter, et qu'il fallait
adopter d'urgence une artillerie de campagne mobile certes, mais plus
lourde que le 75 et à tir plus long.
Un des défauts du 75 était la grande
tension de sa trajectoire. De plus l'obus du 75 est peu efficace
lorsqu'il
faut produire des effets de destruction trés puissants (ouvrages
de fortifications conséquents). Trés efficace contre le
personnel à découvert, le 75 se montre ainsi d'une faible
efficacité contre le personnel abrité, et nul contre le
personnel trés bien abrité. A l'instar des armées
étrangères qui s'en étaient doté, le besoin
d'un obusier de campagne se faisait sentir. On songeait donc
à un obusier léger pour les corps d'armée, pouvant
suivre l'artillerie de campagne et pouvant produire des effets de
destruction et de démoralisation supérieurs à
celle-ci, ainsi qu'à un canon long à grande portée
(ci.13km) et à grande puissance, mais ayant quand même une
certaine mobilité (commission des nouveaux matériels,
octobre 1911). En attendant la sortie de ces canons lourds,
qui prendrait du temps, on songeait à transformer les anciens
matériels lourds pour augmenter leur puissance et leur
mobilité.
Pour cela le capitaine
Rimailho avait fait adopté en 1904 l'obusier de 155 court
à tir rapide (CTR), merveille de mécanique, de manoeuvre
facile et relativement mobile grâce à sa
décomposition en deux voitures. Son obus est trés
puissant, et son tir courbe permet de tirer de derrière les
masques et d'atteindre des points qui seraient en angle mort pour
l'artillerie de campagne. Cet obusier était
néanmoins trop faible pour la guerre de siège et pas
assez mobile pour une utilisation en campagne.
Pour éviter le problème
fréquent d'inefficacité des tirs de 75 sur des objectifs
défilés derrière les crêtes, on adopta
(absolument à tord) le procédé des plaquettes Malandrin pour
éviter les ricochets, qui était immédiatement
applicable sans dépenses notoires. Il fut jugé si bon que
l'obusier léger de campagne fut implacablement
écarté. C'est au début de la grande guerre que ce
pis-aller fût condamné sans rémission, alors que la
solution des tirs fusant de l'obus explosif et de la cartouche à
charge réduite prouvèrent leur efficacité.
En 1913 furent adoptés le canon de 155
Long, du modèle de Bange 1877 transformé, de 12 à
13km de
portée, l'obusier de 280 donnant une solution complète au
problème du gros mortier, et le canon de 105 Long, tout trois
créés par les établissements Schneider. On dota
aussi le 120 de Bange de cingolis pour remplacer la plateforme de
siège et de place et le tracter par camion automobile. Leur mise
en commande traîna malheureusement en longueur, pour des motifs
d'importances secondaires, et la guerre éclata sans que les cinq
régiments d'artillerie lourde soient convenablement
équipés de matériels modernes d'une valeur
indiscutable.
En 1914, pour faire face à la crise de la
stabilisation du front où l'artillerie lourde était
maitresse, les canons de Bange furent ressortis, en attendant la mise
en oeuvre des matériels modernes de valeur indiscutable.
Canon de 155 Modèle 1904 CTR (court à tir rapide) Rimailho:
il tire un obus à balles à charge arrière et un
obus explosif. Les batteries comprennent 2 pièces, 12 caissons
et une voiture observatoire. Il faut le décomposer en deux fardeaux pour la traction hippomobile
- Poids: 3200kg
- projectile 41kg
- vitesse initiale: 291m/s
- portée: 6300m
- champs de tir horizontal 5°
- champs de tir vertical: de 0° à +60°
- cadence: 6 coups/min

En action durant la grande guerre:


Canon de 105 Long modèle13 (Schneider):Comme
artillerie de campagne, il doit prolonger le 75 en puissance et en
portée. Il s'agit d'un canon à long recul organisé
pour
l'exécution du tir de plein fouet. Pour la route le canon est
réuni à un avant-train, constituant ainsi une voiture
à contre-appui, traînée par six chevaux. La
munition est encartouchée, munie d'une fusée (percutante,
fusante, ou à double effet), et peut lancer des obus explosifs
ou à balles.
- Longueur de la bouche à feu: 28,4 calibres, soit 2,987m
- Longeur de la partie rayée: 22,4 calibres, soit 2,352m
- rayures: 40 à droite au pas constant de 7°10
- Poids: 2300kg
- projectile 16kg
- vitesse initiale: 555m/s
- portée: 12500m
- champs de tir horizontal 6°
- champs de tir vertical: de -5° à +37°
- cadence: 6 à 8 coups/min


Canon de 155 Court (Schneider):
Il est adopté en septembre 1915, la première batterie sortant en avril 1916.
Il est modifié en 1917 avec la suppression de la douille, du
dispositif de chargement et quelques autres modifications. Jusque
là les 155 CTR Rimailho, le 155C 1881-1912 (Bange-Filloux), les
matériels Baquet (120C et 155C) ont rempli leur mission.
Il a pour mission les destructions courantes jusqu'à 10km. Il s'agit d'un canon à long recul organisé pour
l'exécution du tir tendu, et plus spécialement du tir
plongeant. Il permet d'atteindre un objectif déterminé en
tirant avec des vitesses initiales variables suivant l'angle de chute
à obtenir. Le modèle 1915 tire une munition
encartouchée, le modèle 1917 utilise des gargousses. L'obus est muni d'une fusée (percutante,
fusante, ou à double effet), et peut lancer des obus explosifs
ou à balles. Pour la route l'affût est réuni à un avant-train.
- Longueur de la bouche à feu: 15 calibres, soit 2,332m
- Longeur de la partie rayée: 1,7644m
- rayures: 43 à droite au pas constant de 7°
- Poids: 3220kg
- projectile 43,55kg
- vitesse initiale: 450m/s
- portée: 12000m
- champs de tir horizontal 6°
- champs de tir vertical: de 0° à +42°
- cadence: 4 coups/min
Canon de 155 court modèle 1917:


Obusier de 220 Court à tir rapide Schneider modèle 1916:


Canon de 155 Long (Schneider):
Adopté en 1916, plus puissant que le canon de Bange
modifié 155 L 77-14, il porte à 17km. Il est peu mobile
du fait de son poids de 9t en batterie qui oblige à le
décomposer en 2 voitures de 6t pour le transport hippomobile. En
1918 est adopté une variante de portée moindre (13,6km),
mais beaucoup plus légère (5t) et de ce fait beaucoup
plus mobile (le transport en une seule voiture est possible). Sa
mission est d'opérer des destructions à plus grande
distance que le 155 court.
Mise en batterie d'un 155 Long Schneider:

Canon 155 Long GPF (Grande Puissance Filloux):
Ce canon a été étudié avant guerre par le
commandant Filloux. L'idée d'une flêche ouvrante est due
au colonel Jouhandeau, quand il était directeur des ateliers de
Tarbes. Au moment de l'entrée en guerre les études sur le
155 GPF avaient été reprises et abandonnées
successivement. Ce n'est qu'à la fin 1916 que ce matériel
entra en concurrence avec le 155 L M17 Schneider, et il dû lutter
fortement contre ce matériel jugé moins lourd, plus
facile à fabriquer et suffisant au point de vu de l'emploi. Il
fut finalement adopté pour:
- Son grand angle de tir
- Sa suspension et ses bandages qui ont permis de l'affecter à l'artillerie lourde à tracteur
- Sa possibilité de porter des bouches à feux plus puissantes et même réalésées
- Sa portée qui passa à 18600m en
1918, grâce à l'adoption d'un fausse ogive (la
porté était auparavent de 16200m seulement)
Les premièrs batteries de 155 GPF apparurent
sur le front des Flandres en août 1917. Malgré un poids en
batterie de 12t, il possédait une bonne mobilité
stratégique grâce à la traction automobile.
Il s'agit d'un matériel à flèches ouvertes et
à recul variable suivant l'angle de tir (réglage
automatique). La portée maximum avec l'obus ogivé est
d'environ 18600m. En position de batteries le matériel repose
sur les roues munies de cingoli tandies que les flèches sont
arc-boutées au sol par des bêches. En position de route
les flèches sont refermées, verrouillées
entre-elles et fixées sur un avant-train suspendu. L'obus est muni d'une fusée (percutante,
fusante, ou à double effet), et peut lancer des obus explosifs
ou à balles. La munition utilise des gargousses.
- Longueur de la bouche à feu: 5,915m
- Longeur de la partie rayée: 4,583m
- rayures: 48 à droite au pas constant de 6°
- Poids: 11500kg
- Encombrement en largeur en position batterie: 7,2m
- projectile 43kg
- vitesse initiale: 735m/s
- portée: 18600m
- champs de tir horizontal 60°
- champs de tir vertical: de 0° à +35°
- cadence: 4 coups/min



Artillerie cotière: Aspect
méconnu, l'artillerie cotière ne servira pas sur
les cotes durant la grande guerre, la maîtrise anglaise des mers
assurant la sécurité de nos côtes, mais sera
employé sur le
front, comme artillerie lourde.

Avant guerre la querelle sur l'artillerie lourde n'avait pas
pris fin, et c'est la guerre qui allait donner définitivement
raison à ses partisans. Les efforts d'avant guerre
avaient pourtant porté leur fruits, les usines avaient
d'excellentes
solutions prêtes à sortir d'usine dés que l'ordre
en serait donné, et la création d'une artillerie lourde
vraiment adaptée à la guerre moderne ne pris que quelques
mois, malgré tout notre retard en la matière (face aux
2000 canons lourds allemands, nous ne disposions en 1914 que de 320
pièces...). C'est toutefois seulement en 1917 que l'artillerie
lourde française égalera celle des allemands.
Sources: L'artillerie, ce qu'elle a été, ce qu'elle est, ce
qu'elle sera - général Herr - berger-levrault - 1923
Gazette des armes n°70 avril 1979
Site association Fort Saint Eynard