<= L'armée française de l'été 14
En première ligne, tous les hommes étaient occupés, conformément aux instructions sur les attaques aux gaz, si souvent répétées lors des exercices, à graisser leurs fusils, dont les canons étaient complétement noircis. Un aspirant me montra d'une main mélancolique sa dragonne toute neuve, qui avait perdu son bel éclat d'argent et avait pris à la place une teinte d'un noir verdâtre - Ernst Jünger - Orages d'acier - préludes à la bataille de la Somme
Manifestement l'emploi des gaz n'a été pour le grand état-major allemand qu'une expérience sans importance particulière. Il ne s'est pas rendu compte qu'il disposait là de l'arme de rupture pour neutraliser un front étendu, occupé par des troupes dépourvues de moyens de protection et de riposte. Il a même fourni aux alliés l'antidote en distribuant à leur troupes des tampons imbibés d'hyposulfites que les alliés ont trouvés sur les soldats faits prisonniers. En quelques mois, contrairement aux prévisions allemandes, par des efforts considérables les alliés étaient eux aussi dotés d'armes chimiques. Il s'en suivit donc une course aux armes chimiques et aux protections contre celles-ci, sans toutefois que l'arme chimique ne permette de revenir à la mobilité.
Aprés le chlore fut utilisé en 1915 le mélange chlore-oxyde de carbone, ou phosgène, puis le bromure de benzyle. En 1916 apparaissent les premiers obus remplis d'acide cyanhydrique.
En 1917 le sulfure d'éthyle dichloré, qui induit des brûlures intolérables avec un effet psychologique importants, est massivement utilisé dans la région d'Ypres (d'où son nom d'ypérite ou gaz moutarde). Les yeux, les voies respiratoires sont trés sensibles à l'ypérite. Dans un lieu contaminé, on pouvait se bruler par contact, d'autant plus qu'il y avait un retard avant que la douleur n'apparaisse. On pouvait alors continuer à s'infecter par contact des mains sur le corps! L'ypérite imposait donc le port de protections corporelles complémentaires, en particulier les moufles. On devait en outre désinfecter les vêtements dés qu'on pouvait.
Cette année voit également l'apparition des "clarks" à base d'arsine: non filtré par les cartouches des masques, ils provoquent des vomissements dans les masques que les soldats sont obligés d'ôter, ce qui les force à respirer sans masque.
Dans la dernière année de la guerre, les armes chimiques furent de plus en plus massivement utiliséés. On peut constater que grâce aux protections et au faible pouvoir de dispersion, ce ne sont pas ces armes qui provoquèrent le plus de pertes: sur le front ouest, seuls 7% des tués avaient été victimes de gaz. En revanche l'effet psychologique (avec de trés nombreux blessés) fut indéniable: la guerre devint terroriste.
Fantassin russe avec une protection sommaire contre les gaz de combats:
Ambulancier allemand avec un masque et un appareil à oxygène
Les gaz et brouillards de fines particules se dispersent assez vite, les produits sous formes de goutelettes liquides ou de particules solides assez grosses sont persistants et peuvent infecter une zone pendant longtemps.
On peut classer ces substances comme suit, même si ces catégories ne sont pas nettement tranchées, un gaz pouvant appartenir à plusieurs d'entre elles:
Naturellement, la toxicité dépendait aussi des mouvements atmosphèriques et du terrain. Ainsi une atmosphère turbulente dispersait plus vite les gaz, tandis qu'un rétrécissement de terrain créait un effet venturi qui les concentraient. Une forte pluie rendait une attaque de gaz inefficace, alors qu'une pluie fine ou un brouillard la favorise. La chaleur peut en outre favoriser l'évaporation des produits sous forme de goutelettes.
Dans la guerre des gaz, il ne faut pas oublier qu'il fallait aussi protéger les chevaux, chiens, et même les pigeons.
Avec les armes chimiques, quand une nappe de gaz était détecté il fallait faire vite, sans que cela soit au détriment de la correction. On devait savoir changer d'appareil de protection si le premier était mis hors d'usage (balle ayant traversé, etc.). Les hommes ayant le tympan crevé devaient mettre de l'ouate dans les oreilles, car les gaz pouvaient s'infiltrer dans le corps par cette entrée. Dans le cas de l'ypérite on protégeait le corps par des survêtements: Moufles, bourgerons, salopettes, bottes de tranchées.
Quand on pensait que l'atmosphère n'était plus toxique, il fallait s'en assurer et faire une faible inspiration tout en soulevant légèrement le bord du masque, puis répéter l'opération en augmentant l'inspiration ainsi que l'amplitude et la durée d'écartement du masque.
On devait faire attention que dans les trous où l'on s'abritait, le gaz toxique restait plus longtemps.
Les gaz se caractérisent par leur odeur, mais certains produits insidieux ne se manifestent pas avant que leur effet agressif ait été ressenti. Des éclaireurs Z, choisis pour leur odorat particulièrement sensible, étaient chargés de se renseigner sur l'infection de l'atmosphère ou du terrain. Ils pouvaient disposer de moyens sommaires de détection chimique.
Dans certains cas, notamment dans les ouvrages de fortifications, on pouvait construire des abris étanches, avec système de filtration d'air.
Des soldats avec un nouveau masque descendent dans une fosse à fumée - mai 1915
Adoptés dans l'urgence ces tampons sont néanmoins insuffisants: ils ne couvrent pas suffisamment les voies respiratoires et la durée de protection n'est pas assez longue. Une amélioration sera d'agrandir leur surface, et de modifier la matière absorbante. On eut ainsi les compresses, que l'on rangeait dans un sac en tissu porté autour du cou.
Des lunettes sont aussi fabriquées. Les premiers modèles sont quasi inefficaces car non étanche et s'adaptant mal au visage. Les améliorations furent de les confectionner en caoutchouc, d'agrandir leur surface pour qu'elle s'adaptent mieux, d'adopter une armature en métal pour les œilletons, de les doubler d'un molleton.
Vérification des protections individuelles - Secteur de Verdun 1916
Tampons P2: En juillet 1915 une nouvelle solution neutralisante est mise au point pour lutter contre les nouveaux gaz utilisés par les allemands. En aôut arrivent les nouveaux tampons P2, constitués d'une enveloppe de tissu dans laquelle on place les compresses imbibées de produits absorbants.
Tampon T (Tambuté): En novembre 1915 est mis en service ce nouveau tampon, de forme conique, qui a l'avantage de s'appliquer trés facilement, d'être étanche et de permettre à l'utilisateur de parler. C'était un progrés considérable, car les officiers devaient jusqu'à lors soulever leurs masques pour donner leurs ordres. Il est trés vite modifié en un tampon TN, utilisant une nouvelle formule neutralisante beaucoup plus efficace que les précédentes. Ce masque permet une protection pendant trois heures.
Les masques TN distribués en janvier 1916 seront transformés en masque complet, appelé TNH. Il sera amélioré par l'ajout d'une sangle supplémentaire derrière la tête, ce qui donna le masque LTN. Ces modèles furent abandonnés au profit du masque M2.
Dans un abri de tranchée, casque Adrian, masque M2 avec sa boite de rangement rectangulaire en métal:
Officiers français au repos jouant au bridge
Soldats du corps expéditionnaire américain testant leurs masques M2:
Il se range dans une boite de couleur kaki qui se porte en bandoullière. L'ancien masque M2 toujours porté dans sa boite rectangulaire, sert de masque de secours.
Soldats préparant une ligne téléphonique - Ils portent masque ARS et M2 - L'illustration 18 mai 1918:
Trop encombrant, il ne remplacera pas le masque M2. Un appareil Tissot petit modèle fut mis au point, qui prendra de plus en plus d'importance et remplaça le grand modèle à l'extrême fin de la guerre.
Appareil Tissot petit modèle:
En cas d'attaque à l'ypérite il fallait donc protéger les yeux du cheval par des moyens de fortune (bandeaux). A défaut de masque on pouvait confectionner un masque de fortune avec une musette doublée contenant, entre la doublure et la musette du foin imbibé de solution neutralisante.
Si le cheval devait stationner dans une zone infectée, on devait le munir d'une musette sur la gueule pour éviter qu'il ne broute de l'herbe ou des feuilles toxiques.
Les pigeons voyageurs sont beaucoup moins sensibles à l'action des gaz que les chevaux. Il était recommandé d'envelopper la cage d'une housse en toile huilée ou à défaut d'un tissu aussi épais que possible qu'il était avantageux de maintenir mouillé.
Chien avec son masque à gaz
Soldats allemands et leurs chiens lors de manoeuvres:
Récupérés dans les compagnies minières, les appareils Draeger et Jaubert ne donnèrent pas satisfaction, trop encombrants, pas assez d'autonomie. Leur usage fut donc circonscrit aux cas d'espaces confinés remplis de monoxyde de carbone ou de gaz toxiques à concentration trop élevés, comme des galeries de mines ou des casemates de mitrailleuses sans ventilation.
La durée d'efficacité de l'appareil draeger ne dépasse pas une heure en fonctionnement normal, et peut être notablement inférieure si la pression initiale est moindre ou si l'homme se livre à un travail pénible. Il resta en dotation toute la guerre.
L'appareil Jaubert, ou à oxylithe, avait une protection de durée limitée à 30 minutes, sa mise en marche n'était pas immédiate et était d'un emploi moins aisé et moins régulier que l'appareil draeger. Il fut retiré du service en 1916.
Appareil Draeger:
L'appareil Fenzy fut conçu au cours de la guerre, pour remplacer les appareils draeger et à oxylithe. Il utilisait un réservoir d'oxygène comprimé pour l'inspiration, et une cartouche à l'oxylithe (peroxyde de sodium) pour filtrer la vapeur d'eau et le dioxyde de carbone à l'expiration. La bouteille d'oxygène ne servait que lors de l'amorçage de l'appareil, ou lors d'un travail intensif. Son intéret était de pouvoir être utilisé plus de deux heures dans un local fortement infecté ou contenant du monoxyde de carbone.
Le grand modèle (GM) était trop encombrant. La conception d'un petit modèle, de durée de protection nettement plus courte, mais beaucoup plus maniable, rendit cet appareil valable pour la guerre des mines. Il devait permettre à un travailleur surpris par l'oxyde de carbone de se retirer sans danger. Son principal inconvénient était l'échauffement de sa capsule d'oxylithe. Trés apprécié par les compagnies du génie de la guerre des mines, celles-ci auraient voulu généraliser cet appareil et en fournir un à chaque homme en tête d'attaque.
Appareil Fenzy grand modèle (à gauche) et petit modèle (à droite):
Abris: Ils doivent être munis de panneaux ou portes aussi hermètiques que possible, si possible doublés pour former sas. Si un abri doit être occupé un certain temps il est prudent de prévoir la régénération de l'atmosphère qui se vicie peu à peu (respiration, lampes).
Pulvérisateurs: ils servent à projeter des solutions capables de neutraliser les gaz asphyxiants. Lors d'une attaque, ils ne servent pas à neutraliser la vague (efficacité illusoire) mais soit à protéger les entrées des abris, pour neutraliser le gaz pouvant pénétrer par les interstices, soit à assainir un abri accidentellement envahi. Aprés l'attaque ils servent à assainir les abris, postes de commandement et tranchées.
Barrage de feu:
une barrière de feu peut aider à dissiper une
nappe de
gaz, si les circonstances sont favorables, en échauffant les
gaz
et en les soulevant. Ce procédé de
défense a un
effet assez incertain.
Fantassins anglais avec leurs protections
Dans une zone bombardée quotidiennement par des gaz mortels, une femme et sa fille portent une protection: