LES NOUVELLES ARMES DE L'INFANTERIE

LES GRENADES

<= L'armée française de l'été 14


Leur usage militaire est assez ancien, mais elles avaient disparu dans la guerre terrestre depuis longtemps. Ce n'est qu'au cours de la grande guerre qu'elles reprirent du service. Les allemands avaient conçu une éventuelle stabilisation du front et leur armée était largement pourvue de ces engins et leur personnel formé à leur utilisation. Les français n'avaient que la grenade bracelet modèle 1882, même si d'autres types étaient alors à l'étude, et l'infanterie usait de pétards de mélinites pour effectuer des destructions d'obstacles (cf. Les moyens de destructions). Devant la pénurie un des premiers moyens fut de confectionner des pétards avec de vieilles boites de conserves où l'on introduit une charge de mélinite. Les différentes parties sont liées solidement et fixées sur une raquette en bois. Aprés amorçage du pétard, celui-ci est envoyé sur l'adversaire. Ces pétards furent dabord fabriqués par les fantassins, puis dans les parcs d'artillerie.

Ci-dessous: C grenade bracelet; D pétard monté sur raquette; E pétard anglais; F pétards bricolés au front


Groupe d'artilleurs devant un échantillon de leur production - En bas à gauche et à droite des pétards raquettes

Pétards raquettes fabriqués par des artilleurs

Pour augmenter l'efficacité des tirs de grenades, on songea rapidement a créer des appareils pour les lancer. On vit ainsi renaître une sorte d'arbalète, que les soldats appellaient sauterelle, où la grenade était placée sur une corde reliée à deux tiges flexibles, et dont la détente assurait la propulsion jusqu'à 80m. 

    Arbalétes pour lancer des grenades

Grenade modèle 1882: Il s'agit d'une sphère creuse chargée de poudre noire. Une fusée à friction assure la mise à feu, ce qui permet l'utilisation d'un cordeau tire-feu attaché à la main du grenadier. Le modèle 1914 ne diffère que par un quadrillage intérieur améliorant la fragmentation et une nouvelle fusée. Ces modèles prévus pour l'infanterie de forteresse étaient mal adaptés au nouveau type de combat, et furent utilisées à des fins défensives ou de harcèlement, mais pas pour une action offensive. En 1915 la grenade fut chargée de cheddite et pourvue d'un bouchon allumeur à percussion. Cette grenade disparaitra avec l'apparition de grenades mieux adaptées.

Grenade modèle 1882    Grenade modèle 1882


Pétards raquettes: Il s'agit de la grenade artisanale la plus fréquente, fabriquée avec une cartouche de mélinite introduite dans un tube de fonte d'acier, le tout fortement lié par un fil de fer à une planchette. Aprés la simple mèche on adopta un système de percussion enfermé dans un bloc de bois lui même fixé à la planchette.

Pétards raquette

grenades raquette


Avec la guerre des grenades de nouvelles conceptions virent le jour. A l'inventivité débordante des débuts l'état-major ne retient en 1916 que quelques types qui seront utilisés jusqu'à la fin du conflit. Toutes sont fusantes, c'est à dire qu'elles éclatent quelques secondes aprés allumage. Les grenades percutantes, à l'origine de nombreux accidents seront en effet finalement retirées du service. Les grenades offensives sont celles que l'on peut employer en terrain découvert sans que le grenadier soit atteint, c'est à dire dont la zone d'efficacité réelle ne dépasse pas 8-10m du point d'éclatement (effet meutrier limité au seul effet de l'explosion). Les grenades défensives sont celles qui sont dangereuses dans un rayon de plus de 100m, et qu'il faut tirer d'une position bien protégée des éclats de retours (effet meutrier lié à la projection d'éclats de fontes nombreux). Il existe aussi pour des effets spéciaux des grenades suffocantes, fumigènes, incendiaires. 

Dans l'offensive la grenade permet d'atteindre le défenseur abrité qui a échappé au bombardement. C'est un engin d'attaque et de nettoyage de tranchées. Dans la défensive elle permet de réaliser un excellent barrage à courte distance, et de couvrir les organes essentiels de la défense (mitrailleuses, PC, etc.).

Au cours de la guerre on forma des fantassins spéciaux, les grenadiers-voltigeurs, dont le rôle était l'utilisation des grenades. Elles étaient transportées dans des musettes porte-grenades. Les grenades à main pouvaient être tirées à 25-40m avec un écart de 2-3m et une cadence de tir d'une dizaine de grenades à la minute. Les grenades à fusil pouvaient être tirées entre 30 et 180m. 

Allumeurs: il en existait trois type:

  • Bouchon allumeur métallique à percussion: grenade AB1916 et grenade incendiaire à main 1916. Aprés avoir enlevé la coiffe de protection, on frappe la grenade d'un coup sec sur un objet dur. L'amorce s'enflamme contre le rugueux, met feu à la mèche lente qui actionnera le détonateur.
  • Bouchon allumeur à percussion: grenade Citron-Foug
  • Bouchon allumeur automatique modèle 1916B: tous les autres types de grenades. Un ressort de percussion intérieur en forme de pincette percute simultanément deux amorces lorsqu'il est libéré par le déplacement d'un verrou. Celui-ci est libéré dabord par la goupille à anneau, puis par la main qui étreint le levier et la grenade.
Couleurs: Depuis des siècles les grenades étaient peintes en noir. En 1916 les grenades reçoivent des couleurs distinctives:
  • Gris artillerie: grenade chargée
  • Rouge vermillon: modèle d'instruction totalement inerte
  • Blanc: modèle d'instruction avec allumeur et détonateur actif

Grenade offensive fusante OF: Elle sert lors d'assauts de terrains plats et découverts. 

L'enveloppe est ovoïde en fer blanc de 0,3mm d'épaisseur, peinte en gris bleu-clair et remplie de 150g de cheddite. Le poids total est de 250g. Dabord équipée de l'allumeur à percussion modèle 1915, elle utilise le bouchon allumeur automatique Billiant modèle 1916B, commun à toutes les grenades sauf le type CF. Un ressort de percussion intérieur en forme de pince percute simultanèment deux amorces lorsqu'il est libéré par le déplacement d'un verrou. Celui-ci se déplace automatiquement en soulevant le levier de déclenchement (aprés avoir enlevé la goupille de sécurité). Le tireur devait prendre la grenade de la main droite (à pleine main), enlever la goupille de sécurité (la grenade est alors armée), puis envoyer sa grenade. Il y a déclenchement dés que la grenade quitte la main (levier de déclenchement ouvert).

Grenades OF1 de 1915     

Grenades OF1


Grenade défensive fusante F1: Il s'agit d'une grenade de parapet dont les éclats sont dangereux jusqu'à 100m. L'enveloppe est ovoïde en fonte avec sillons extérieurs de fragmentation et peinte en gris-bleu clair. La charge de cheddite est de 60g pour un poids total de 630g. Dabord équipée de l'allumeur à percussion modèle 1915, on adapte ensuite le bouchon allumeur automatique Billiant. 

 Grenades F1    

Grenade F1 avec allumeur métallique

Grenade F1 avec allumeur métallique     Grenade F1


Grenade défensive fusante Citron-Foug CF: Elle utilise un bouchon allumeur à percussion qui lui est spécifique. Aprés enlèvement de la coiffe de protection, on doit frapper la grenade d'un coup sec contre un objet dur. L'amorce s'enflamme contre le rugueux, ce qui met le feux à la mèche lente et détermine l'explosion quelques secondes plus tard. Elle a l'avantage, outre un prix modique, d'avoir une forte charge d'explosif pour une enveloppe mince, ce qui donne en plus du souffle une multitude de petits éclats efficaces jusqu'à 40m. 

Grenade Citron-Foug


Grenade suffoccante: Il existait avant 1914 une grenade suffocante dont le corps en feuille de laiton et de forme ovoïde allongée contenait un liquide irritant dont la projection était assurée par une légère charge de poudre noire. L'allumeur était à friction. En 1914 le corps sera en fer plombé et muni en 1916 d'une bague en laiton permettant la fixation des allumeurs 1915 et 1916.

Modèle 1916: Corps ovoïde en fer blanc, muni d'un bouchon allumeur automatique Billiant modèle 1916B. La charge est de 200g d'un liquide spécial, pour un poids de 400g. Le seul explosif utilisé est un détonateur. L'engin est suffocant et lacrymogène, mais peu ou pas toxique. Il peut toutefois rendre intenable un espace clos. On devait faire attention à la direction du vent.

Grenades suffocantes


Grenade incendiaire: En 1916 trois grenades incendiaires sont mises en service:
  • Modèle AB1916: sphérique, montée avec allumeur modèle 1915 et chargée au phosphore. Elle a également un rôle fumigène.
  • Grenade incendiaire à main modèle 1916: cylindrique avec allumeur modèle 1915 et chargée de calorite (aluminium et silicate de soude). Elle agit par chaleur et non par explosion
  • Grenade incendiaire modèle 1916: Il s'agit de la grenade AB1916 dont on a modifié la forme pour y adapter l'allumeur automatique Billiant.

grenades incendiaires     Grenades incendiaires

Grenade incendiaire et fumigène modèle 1916: Grenade offensive fusante, avec corps ovoïde en fer blanc, et peinte en gris bleu clair. Elle est chargée de 300g de matières actives pour un poids total de 550g. L'explosion de la grenade est obtenue par une charge de poudre noire introduite dans la gaine relais. Elle projette des morceaux de matières enflammées en dégageant une fumée opaque et créant autant de foyers d'incendie. Elle a une zone d'action de 15 à 20m au point d'éclatement. 

Grenade incendiaire à main modèle 1916: Boite cylindrique en fer blanc chargé de calorite, avec bouchon allumeur à percussion. La charge de calorite est de 575g pour un poids total de 750g. Elle sert à incendier les matières inflammables et à détruire par le feu les objets métalliques (canons, moteurs...). On doit enlever la coiffe protectrice, et frapper le bouchon contre un corps dur, puis poser la grenade sur l'objet à incendier. Elle n'explose pas, mais le métal en fusion perce l'enveloppe de la grenade et s'écoule. Elle agit ainsi localement par la chaleur intense dégagée.


Etapes du lancement d'une grenade:

Etapes du lancement d'une grenade


Les grenades à fusils: L'idée d'utiliser le fusil d'infanterie pour lancer une grenade est ancienne, mais dans les siècles antérieurs cette idée s'est heurtée au problème de l'allumage de la grenade qui rendait l'opération hasardeuse. Cette étude progressa néanmoins au XIX° siècle et plusieurs armes de ce types furent adoptées en Angleterre et en Allemagne avant 1914. A l'entrée en guerre l'armée française était dépouvue de ce type de matériels et les premières grenades à fusil furent des Marten Hale anglaises à tige fournies par le Royaume-Uni et adaptées au calibre du fusil lebel.

Grenade à tige Feuillette modèle 1915: Il s'agit d'une grenade inspirée du modèle anglais mais d'une plus grande sécurité d'utilisation. La longueur de l'empennage (40cm pour un poids de 410g) rendait l'engin sensible au vent et donc d'une précision assez aléatoire. La fausse ogive donnait un bon aérodynamisme et en s'écrasant à l'impact évitait que la grenade ne s'enfonce dans le sol. Elles battaient une zone entre 80 et 300m.

Grenade Feuillette à tige


La grenade Vivien-Bessière à tromblon modèle 1916: Cet engin se lance grace au fusil d'infanterie (Lebel, modèle 1907/15 ou F.A.) coiffé d'un tromblon VB (Viven-Bessières). Le tromblon se porte au ceinturon dans un étui en cuir. 

Tactiquement l'obus VB prolonge l'action des grenades à main. Lors d'une attaque dans un combat local, lorsque l'artillerie ne peut intervenir, il supplée à celle-ci en bombardant avec précision les nids de résistance adverse. Il peut interdire la retraite de troupes ennemies attaquées à la grenade à main et aussi empêcher l'arrivée de renforts, etc. Dans la défensive il permet de créer des barrages infranchissables, d'effectuer des tirs d'usure, de harceler les adversaires et même parfois neutraliser les minenwerfer et granatenwerfer.

On peut tirer épaulé, mais le plus souvent on appui la crosse à terre. On devait ajuster le tromblon à fond sur la bouche du fusil, puis introduire l'obus VB à fond. On tirait ensuite la cartouche réglementaire. La balle passait par le tube central et frappait la palette qui mettait le feu à l'amorce (dans un tube latéral), tandis que les gaz brulés projetaient l'obus. L'efficacité de cet obus était trés semblable à celui des autres grenades, mais avait une portée trés supèrieure. 

  • Poids du tromblon: 1,5kg
  • Diamètre intérieur: 50mm
  • poids de l'obus: 475g
  • poids de l'explosif: 60g
  • durée de la combustion: huit secondes +/- une seconde
  • portée: voir tableau ci-dessous. l'échauffement graduel du fusil était accompagné d'une hausse de la portée (ci. 20m à 45°)
 

Le tromblon VB pouvait aussi lancer des fusées éclairantes ou à signaux, ainsi que des projectiles porte-message.

Lance message Brandt: On place le message dans une cavité. Un dispositif d'amorçage détermine la production d'une fumée jaune persistante indiquant le point de chute.

Lance-message Brandt     Porte message Brandt

Grenade VB défensive     Grenade VB porte message

Le tir au tromblon VB était effectué de préférence dans la position du tireur à genoux crosse à terre. Dans ce cas seul le fusil lebel était utilisé car sa crosse trés robuste encaissait le choc sans se fracturer. Le plus souvent, eu égard à la précision relative du tir, le tir était effectué par concentration de feux, ce qui rendait la zone battue intenable.

Tir au tromblon VB

Grenadier VB vers 1930

Grenadier VB aprés la guerre (ci.1930)


Grenadier tirant un modèle 1882-1914

Source: La science et la vie N°23 octobre-novembre 1915
Gazette des armes n°49 mai 1977
Gazette des armes n°111 novembre 1982
Manuel du chef de section d'infanterie - Imprimerie Nationale - 1918
Manuel du gradé de cavalerie - Charles Lavauzelle - 1920
Manuel du gradé du génie - Charles Lavauzelle - 1941