LA LONGUE RETRAITE

<= L'armée française de l'été 14


Joffre décide le 25 août un repli général sur la ligne Verdun, Aisne, Laon, La Fère et la Somme, en attendant une occasion de relancer l'offensive. Des combats d'arrière-garde et des contre-attaques appuyées par l'artillerie devraient retarder l'ennemi. Il avait aussi donné l'ordre aux forteresses de la frontière nord de tenir. 

Joffre rédigeait à ce propos de nouvelles instructions qui sont ni plus ni moins que ce que l'armée allemande pratiquait avec tant d'efficacité depuis le début de la guerre, ainsi que la négation des théories du colonel de Grandmaison: préparer les attaques d'infanterie avec de l'artillerie et n'attaquer qu'à une distance où l'on est sûr de pouvoir atteindre son objectif, quand un point est conquis l'organiser immédiatement, s'y retrancher et amener l'artillerie, etc. 

Le généralissime procédait en même temps au relèvement et au remplacement des généraux incompétents, molassons ou trop agés (limogés car envoyés à Limoges, afin d'éviter des polèmiques peu de circonstances). A la veille de la bataille de la Marne, une cinquantaine de généraux sont ainsi relevés, dont deux commandants d'armée et neuf de corps d'armée; certains l'ont été injustement, d'autres à fort juste raison. Le remplacement le plus discutable sera celui de Lanrezac, que seules ses relations difficiles avec le maréchal French peuvent expliquer. 

Les armées françaises retraitent à peu prés en bon ordre, bien que l'on voit le pire et le meilleur: des unités marchant en rang par huit comme à l'allée et bien tenues par leurs officiers à des bandes éparses ne retrouvant leur unités que beaucoup plus tard, voire des fuyards démoralisés pillant tout sur leur passage (L'absence de chef en est souvent la cause).

Nous avons affaire à deux batailles distinctes, avec la place forte de Verdun pour pivot: l'aile gauche française retraite, en attendant une occasion favorable de reprendre l'offensive, l'aile droite est stationnaire et contient les armées allemandes en s'appuyant sur le rideau défensif des places de l'est.

S'attendant à voir arriver les allemands, à propos de qui des rumeurs abominables circulent, les civils français fuient par milliers, rejoignant les civils belges et les troupes en retraites, non sans poser des problèmes aux armées dont la marche est ralentie. Et en effet les civils français paient maintenant un lourd tribut aux exactions, bien réélles au demeurant, des armées allemandes.

La troupe retraite pendant que le général Joffre écoute le rapport d'un jeune officier:


La chute des places de la frontière nord: L'ennemi doit s'emparer des places fortes aux frontières, dont la résistance couvrira en principe la retraite. Malheureusement les places fortes de la frontière nord se limitent à quelques places d'une solidité variable, que ce soit pour l'armement ou pour la qualité des garnisons. Les pièces mobiles de siège allemandes, dont les 420 et les 305 Skoda, vont faire preuve d'une redoutable efficacité. Faute d'entretien et d'une mise à niveau suffisante, le système défensif du général Séré-de-Rivière tombera en quelque jours. Les places, dont les garnisons sont le plus souvent composées de réservistes et de territoriaux, ne se sont battues que bien commandées, à l'exemple de Longwy. 

La seconde armée Von Bülow remontant la Sambre arrive le 24 août à Maubeuge. Les 40000 hommes de ce camp retranché se répartissent dans des forts ayant un important armement. Il est de plus renforcé par un corps d'armée doté d'une artillerie conséquente. Maubeuge subit un bombardement continu dés le 28, et ses forts tombant les uns aprés les autres, se rendra le 7 septembre.

Le fort de Charlemont qui tient la Meuse au dessus de Givet est abordé par la 3° armée Von Hausen le 29 et céde en deux jours. Bombardé par la 4° armée du duc de Wurtemberg le 26, le fort des Ayvelles, au sud de Mézières, se rend sans tarder. Le fort de Longwy sur la Chiers, barre le passage à la 5° armée du Konprinz impérial et est soumi à un bombardement violent dés le 21. La place capitule le 26, ayant combattu vaillamment pendant cinq jours. Montmédy, toujours sur la Chiers tombe le 30. Ayant reçu l'autorisation dévacuer dans la nuit du 26 au 27, ses colonnes doivent traverser les lignes ennemies. Malgré un début heureux, les allemands les anéantissent et investissent la place.

A peine ralenties, plus rien ne peut arrêter la marche des armées allemandes.

Coupole détruite par un obus de 420 d'un des forts de Maubeuge

Coupole détruite d'un des forts de Maubeuge


Paris menacée: La capitale, objectif majeur de l'ennemi, est directement exposée en l'absence d'une ligne de défense intermédiaire qui n'avait jamais été achevée. Le 25 le ministre de la guerre Adolphe Messimy convoque le général Galliéni, sucesseur désigné de Joffre, l'informe de la situation et le nomme le lendemain commandant des armées de Paris et environs. Le président de la république le nomme aussitôt gouverneur militaire de Paris. Or Paris est une ville sans défense et disposant d'une garnison insuffisante et de faible valeur (Hormis le corps des fusiliers marins de l'amiral Ronarc'h). Messimy demande à Joffre de fournir des renforts au cas où la contre-offensive n'aurait pas lieu avant l'arrivée des allemands sur la capitale. Galliéni Fait en attendant le nécessaire pour préparer le camps retranché de Paris.

Le camp retranché de Paris avec sa ceinture de forts:

Le camp retranché de Paris

Paris en état de défense: des milliers de militaires et de travailleurs civils réquisitionnés menèrent en quelques jours un effort de mise en défense de la place considèrable

Paris mise en défense par Galliéni

Porte Saint Denis protégée par des sacs de sables

Le 1er septembre, Paris étant directement menacé, Joffre met à disposition de Galièni la sixième armée, soit soixante mille hommes. Le 2 septembre dans l'aprés-midi le gouvernement part pour Bordeaux. Le 3 septembre Galièni fait placarder une affiche pour informer les habitants de Paris de la situation. La bataille lui parait certaine pour le lendemain, et il est bien décidé à mener le combat avec ses divisions territoriales et la 6° armée Maunoury nouvellement formée, soit 150.000 hommes. 


La 6° armée s'est déployée en arc de cercle autour de Paris, le 7° corps au centre, les deux divisions du général Ebener à gauche, soutenues par les deux divisions du général Lamaze et la brigade marocaine, tandis que se trouvent en réserve la 45° divisions algèrienne à Pantin et les fusiliers marins au Bourget. Pendant ce temps les territoriaux  mettent Paris en état de défense, en utilisant les vieux forts séré de rivière, pratiquement dans leur état d'origine, ainsi que la ceinture Thiers de 1840.

La manoeuvre des 1ère et 2° armées allemandes, se mettant à la poursuite de la 5° armée française, allaient sauver Paris de la bataille.


Vers la contre-offensive de la Marne: Joffre ne désepérait pas. Ayant compris le plan allemand, il voulait attirer l'ennemi pour l'affaiblir, tout en l'entraînant dans une direction lui assurant la supériorité numérique. Joffre étendait sa gauche et renforçait son centre pour reprendre l'offensive, en prélevant des unités sur sa droite. Dissolvant les armées d'Alsace et de Lorraine, il créait une 6° armée (confiée à Maunoury) le 26 août et une 9° armée (confiée à Foch) le 29, provenant de redistributions de divisons déjà engagées ou disponibles.

Maitrisant la situation, Joffre, officier du gènie et spécialiste du rail, utilisait en virtuose les chemins de fer de rocade pour transporter les unités d'est en ouest. Entrepris fin août ces transferts dureront jusque début septembre. Pendant ce temps l'aile droite devait utiliser le rideau défensif de l'est pour contenir les 6° et 7° armée allemandes.

En cette fin du mois d'août la mobilisation s'achève, et les pertes des unités sont compensées par les dépots restés en casernement. Ce sera la dernière fois que les pertes seront ainsi compensées, par la suite il faudra effectuer un rappel de classes antérieures. 

Sûr de sa victoire, Von Moltke décide quant à lui le 25 aôut de prélever deux corps d'armées sur l'aile droite pour renforcer la 8° armée malmenée par les russes en Prusse-Orientale. Il a aussi dû laisser un corps d'armée devant Anvers et un autre devant Maubeuge. Cependant des opérations défensives utilisant les nouvelles instructions portaient leurs fruits et retardaient l'avance allemande. Ces succés jettaient le trouble chez les allemands en démontrant les capacités de retour offensif de l'armée française.

En retraitant trop rapidement aprés un accrochage sévère à Cateau-Cambrésis le 26 août, la BEF découvrait le flanc gauche de Lanrezac. Pour conserver ses possibilités de redressement et préserver son aile gauche, Joffre ordonne à Lanrezac de contre-attaquer à l'ouest, alors que Von Bülow le menaçait également de face. Lanrezac adopta un dispositif en équerre, un corps au nord et un autre en réserve au sud. Attaquant le 29 le flanc de la 2° armée vers Saint-Quentin, au-delà de l'Oise, il est repoussé jusqu'au fleuve. Mais, attaqué à Guise, au nord, il contre-attaque avec succés et refoule Von Bülow au delà du fleuve! Cette action victorieuse fit gagner deux jours au généralissime.

Toutefois les anglais continuent à retraiter, laissant le flanc de Lanrezac dégarni, et plus au nord le général d'Amade avec ses divisions territoriales de Lille, doit reculer en hate (il ne se rétablira qu'au bord de Paris). Il faudra l'intervention de Lord Kitchener, venu tout exprés le 1er septembre à Paris, pour que French reprenne sa place dans le dispositif général.

Situation au 1er septembre:

Entraînées par les armées françaises, les armées allemands commençaient à prendre des directions différentes: à leur gauche la 4° et 5° armées marchaient vers le sud-est à la poursuite des 4° et 3° armées françaises, à leur droite la 1° et 2° armée progressaient vers le sud ouest, tandis qu'au centre la 3° armée allemande maintenait difficilement le contact avec ses ailes en marchant vers le sud. Or conséquence du coup d'arrêt de Guise, la 1ère armée Von Kluck s'écartait de son trajet initial pour tenter de prendre Lanrezac à revers. Le 31 août, persuadés d'un début de déroute de l'adversaire, Von Kluck (1ère armée) et Von Bülow (2° armée) décidèrent de changer de direction et de poursuivre ensemble vers Reims, et surprise, Von Moltke approuvait le mouvement! 

Joffre envisage le 1er septembre de poursuivre la retraite jusqu'à une nouvelle ligne Nogent, Arcis-sur-Aube et Bar-le-Duc, en s'accrochant aux moles de Paris et de Verdun, c'est à dire que la retraite pourrait se poursuivre au sud de la Marne. Le 2 septembre, la nouvelle de la défaire russe de Tannenberg parvient au généralissime. De nouvelles instructions sont rédigées, la nouvelle ligne de retraite n'est plus indicative, elle devient un but à atteindre, ce qui implique de lâcher Verdun, qui peut résister, et Paris, sacrifiée pour sauver l'armée. Le risque en se rétablissant au sud de la seine est de ne pouvoir les franchir lors d'un retour offensif. 

Pendant ce temps Von Moltke commence à s'inquièter de la menace qui pése désormais sur son aile droite. Il va s'écarter définitivement du plan Schlieffen en cherchant à couper les armées françaises de Paris et à les rejeter vers l'est. Il ordonne donc le 2 septembre à ses 3° et 4° armées de pousser en avant, la 5° devant suivre la rive gauche de la Meuse de Verdun à Bar-le-Duc pour repousser la 3° armée française et menacer le 2° armée française et l'obliger à ouvrir la trouée de Charmes à la 6° armée allemande qui lui fait face. Les 1ère et 2ème armées allemandes doivent quant à elles s'échelonner par rapport à Paris, la 2° armée entre Marne et Seine, la 1ère entre Oise et Marne. 

Or, lorsque les ordres lui parviennent, le 3 septembre, Von Kluck a déjà donné les siens, et un de ses corps d'armée a déjà passé la Marne à Chateau-Thierry. Voulant à tout prix envelopper le 5° armée Lanrezac, maintenant que la BEF s'était dérobée et qu'il était nettement en avance sur la seconde armée, il demande à la direction suprême de tenir compte de sa position vis-à-vis de Von Bülow pour poursuivre la manoeuvre. 

En effet, le 4 septembre, la 1ère armée allemande franchit la Marne à Chézy, Meaux et la Ferté-sous-Jouarre. La seconde armée atteint la Marne à son tour, la 3° s'en approche à Chalons. 

Le 5 au soir, Von Kluck est à Coulommiers, son corps de tête est quant à lui à Esternay. Von Bülow a traversé la Marne à Dormans, Damery et Epernay, Von Hausen à Vitry le François. 

Or le 4 septembre dans l'aprés-midi, Von Kluck lui ayant rendu compte de son avance vers le sud-est et ayant été prévenu de nouveaux transferts de troupes coté français, Von Moltke prend peur. Il décide de réviser son plan: ses 1ère et 2° armées devront se mettre en garde face à Paris, pendant que les 3° et 4° à droite, et les 6° et 7° à gauche, convergeront pour prendre en tenaille les armées françaises. La 5° armée assurera la liaison entre les deux groupes d'armées.

Ainsi, celui qui devait encercler se mit lui même dans l'impossibilité d'exécuter ce mouvement en s'engageant en fond de nasse dans les lignes françaises en retraite tout en exposant ses flancs aux camps retranchés de Verdun et de Paris, et la gigantesque manoeuvre du plan Schlieffen était devenue une manoeuvre d'encerclement par les ailes.

Considèrable boulversement de plan de campagne initial provoqué par l'indiscipline de deux généraux allemands et les transferts de troupes du coté français, ce plan avait pourtant sa logique. Mais, donnant ses ordres de trop loin, Von Molke n'a qu'une perception trop lointaine des événements. 

Cette situation sera l'occasion de la contre-offensive de la Marne du 6 septembre...

Situation le 5 septembre, veille de la bataille de la Marne:

Le général allemand von Kluck:

Le général von Kluck


Source:  L'armée française de l'été 1914 - Henri Ortholan ; Jean-Pierre Verney - Bernard Giovanangeli Editeur - 2004